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VUE D'OPTIQUE : Le hublot magique

Vues d'optique et boîtes d’optique au XVIIIe siècle, du cabinet de curiosité au spectacle forain

 

par Lorraine Aressy

 

CURIOSITES, PERSPECTIVES, OU OPTIQUES : « On donne communément tous ces noms à certaines boïtes dans lesquelles des objets convenablement éclairés, se font voir sous des images amplifiées & dans l’éloignement, par le moyen de miroirs & de quelques verres convexes (…). ».

Nollet, Leçons de physique expérimentale, 1783

 

Né à la fin du 17e siècle dans les cabinets de curiosité, ce divertissement optique, contemporain de la lanterne magique, des ombres chinoises et des anamorphoses, se répandit si rapidement dans les salons de la bonne société, qu'au siècle des Lumières certaines estampes furent couramment appelées des "perspectives" et l'appareil destiné à les visionner, une "optique".

Les gravures destinées à l’optique étaient imprimées par milliers dans les grands centres d’imagerie de Paris, Londres, Augsbourg ou Bassano, et exportées dans toute l’Europe, comme en attestent les titres et légendes traduits en plusieurs langues, parfois même en latin, langage universel. Toutes répondent à des critères communs de dimensions et de composition définis par leur usage.

Vue d'optique du Château de Vincennes, 18e s. qui représente un montreur de boîte d'optique et un porteur de lanterne magique (coll. particulière)

Vue d'optique du Château de Vincennes, 18e s. qui représente un montreur de boîte d'optique et un porteur de lanterne magique (coll. particulière)

Admirer une vue d'optique, c'est d'abord voyager dans les profondeurs de l'image, bien avant l'invention de la 3D et des stéréoscopes. Reflétée par un miroir à 45° puis agrandie par la lentille au travers de laquelle regarde le spectateur, la gravure apparaît déformée : les lignes de fuite nées de l'habileté du dessinateur semblent accentuées, l’effet de profondeur étonne le regard. Le titre de l'image, imprimé à l'envers, apparaît redressé : mystère de l'optique qui étonne encore le spectateur d’aujourd’hui.

Zograscope anglais, 19e s. et vue d'optique de la Galerie de Copenhague éditée par Mondhare,rue St-Jacques à Paris, (coll. particulière)

Zograscope anglais, 19e s. et vue d'optique de la Galerie de Copenhague éditée par Mondhare,rue St-Jacques à Paris, (coll. particulière)

Zograscope et boîte d'optique de salon

 

Les spectacles de boîtes d’optique sont nés du développement des sciences de la perspective et de l’optique. D’ingénieux instruments de dessinateurs comme la camera obscura –dont la structure donnera naissance au premier appareil photographique- permettent déjà de réduire un environnement tridimensionnel aux deux dimensions d’une feuille plane. La boîte d’optique a pour vocation d’inverser cet effet : d’une image en perspective naît l’impression de relief telle que chacun pourrait l’éprouver devant le spectacle de la nature.

Dans sa forme la plus simple, l’appareil nommé communément « optique » en France, ou zograscope, se résume au couple miroir/lentille biconvexe monté sur un pied en bois tourné et lesté pour assurer la stabilité. Ce système optique par réflexion est dit « catoptrique ».

 

L’Optique, estampe gravée par J.F. Cazenave d’après une peinture de Louis Leopold. Boilly, c. 1794 (coll. particulière)

L’Optique, estampe gravée par J.F. Cazenave d’après une peinture de Louis Leopold. Boilly, c. 1794 (coll. particulière)

Le tableau de Louis Leopold Boilly (1761–1845) présenté au salon de 1793 et sobrement intitulé L’Optique, représente très fidèlement un zograscope en fonctionnement. Ce modèle se trouve habituellement décrit dans les catalogues des opticiens et fabricants d’instruments de physique de la fin du XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle.

Cependant, l'immersion dans l’image est favorisée lorsque disparaît le monde extérieur. Au moment de commander une « optique » et des couleurs afin « d'enluminer (…) estampe et paysages », Jean-Jacques Rousseau écrit en 1764 « je n'aime point celles qui restant ouvertes laissent de toutes parts entrer la lumière et présentent avec l'image les objets environnants. Vous me parlâtes d'une manière d'enclore tellement l'image dans la boîte par une espèce de quadre noir qu'on ne vit absolument que l'estampe ».

Ainsi sont privilégiées les boites d'optique, qui ne sont autre que des zograscopes fermés de tout côté afin de supprimer les lumières parasites et faire perdre au spectateur tout repère d’échelle. L'effet "trou de serrure" renforce aussi le pouvoir d'attraction puisque la gravure n'est plus visible de prime abord et ne se révèle qu'au curieux.

Dans la boîte d'optique de type vertical, la gravure est disposée horizontalement dans une caisse pyramidale partiellement ouverte sur un côté pour faire entrer la lumière, et surmontée d'une boîte contenant le miroir et la loupe. L’observation se fait par la même méthode que celle du zograscope.

GUYOT, Nouvelles récréations physiques et mathématiques, tome second, troisième édition, 1786,  Planche 25, Fig 2,3 et 4 (coll. particulière)

GUYOT, Nouvelles récréations physiques et mathématiques, tome second, troisième édition, 1786, Planche 25, Fig 2,3 et 4 (coll. particulière)

GUYOT, dans ses Nouvelles récréations physiques et mathématiques, nous livre une description complète de la fabrication de cet appareil, dimensions comprises. Il insiste sur la taille de la lentille : « Ces verres doivent avoir vingt à vingt-quatre pouces de foyer ; si le foyer étoit plus grand, l’objet ne seroit pas assez amplifié, et s’il étoit plus court, les côtés de l’estampe prendroient une courbure désagréable, et d’un autre côté l’objet ne paroîtroit pas assez éloigné ; en général, plus les estampes qu’on employe sont grandes, plus le foyer du verre doit être long ».

Il convient ensuite de préparer les gravures, sachant que « toutes sortes d’estampes ne sont pas convenables, il faut choisir celles où il y a le plus de lointains. Dans quelque sujet que ce soit, il est essentiel aussi qu’elles ne soient pas trop chargées de gravure ».

«Ayez une quantité d’estampes représentant divers vues, peignez-les légèrement, en imitant autant qu’il sera possible la couleur naturelle des objets, & en affaiblissant beaucoup vos teintes dans les lointains ; ménagez aussi de grands clairs sur les devants, en ne mettant presque pas de couleurs aux endroits où il y a très peu de gravure : coupez le papier qui entoure la gravure, et collez-les sur un carton de la grandeur du fond de la boëte, et s’il reste de l’espace entre l’estampe et le bord du carton, couvrez-le d’un papier noir. Cette bordure noire est fort essentielle, afin que l’œil n’apperçoive (sic) aucun autre objet apparent que l’estampe, par cette même raison il est nécessaire de peindre également en noir tout l’intérieur de la boëte."

Vue d'optique collée sur carton fort noirci (coll. part.)

Il existe de nombreuses variantes dans la construction de ces boîtes. Dans leurs traités de physique récréative, Ozanam, Nollet ou Guyot décrivent chacun toute une série d’appareils d'optique à réflexion destinés à enrichir les cabinets de physique d'une élite curieuse des sciences appliquées.

Ainsi, une caisse horizontale peut-elle être munie à l'une de ses extrémités d’un miroir concave dans lequel se reflète l’estampe disposée verticalement sur le côté opposé. Le spectateur observe le paysage par une simple fente percée au dessus de la gravure. L’effet est renforcé lorsque l'image est fortement éclairée et que l'on intercale à mi-distance un entourage en carton découpé qui fait office de manteau d’arlequin. Les vues montées sur carton sont introduites dans l’appareil par une rainure ou peuvent être collées en continu, bord à bord ou sur un tissu, pour constituer un panorama déroulant.

De même, la reliure d'un livre à secret peut dissimuler la camera obscura utilisée par le peintre et se transformer à volonté en visionneuse d'estampe.

Gaston Tissandier, La Nature, 1893, Boîte d'optique en forme de livre à secret (coll. part.)

Gaston Tissandier, La Nature, 1893, Boîte d'optique en forme de livre à secret (coll. part.)

Enfin, la vue d’optique peut être remplacée par une scène constituée de plans découpés et disposés successivement dans la boite en respectant un écartement proportionnel à l'éloignement. La sensation de profondeur relève alors de l’effet théâtral. Ces petits théâtres de perspective étaient la spécialisé de l’éditeur allemand Engelbrecht qui grava à leur intention des dizaines de saynètes très prisées aujourd’hui des collectionneurs.

Théâtre de perspective d'Engelbrecht, ensemble de plans découpés et colorés, 18e s. (coll. particulière)

Théâtre de perspective d'Engelbrecht, ensemble de plans découpés et colorés, 18e s. (coll. particulière)

Théâtre optique forain : la boite de colporteur

 

Au siècle des Lumières, colporteurs et montreurs d'images parcourent l'Europe des foires et des campagnes. Dans leur boite d'optique s'illuminent palais fantastiques, capitales lointaines et grands événements du royaume.

Chromo prime allemand : le montreur d'optique forain (coll. part.)

Chromo prime allemand : le montreur d'optique forain (coll. part.)

Venus traditionnellement des régions de montagne, de Savoie et d’Auvergne, poussés à l’émigration par la dureté de leur condition, les montreurs ambulants -tout comme les comédiens, saltimbanques et musiciens itinérants-, font partie de ces gens de spectacle qui tentent de survivre en se produisant de foire rurale en place publique.

La popularité de ces animations de rue est telle que de nombreux témoignages nous sont parvenus sous forme de récits, d’illustrations, de peintures, de figurines et de décoration sur des objets du quotidien. La figure du colporteur est donc abondamment illustrée : humblement vêtu, la caisse sur le dos, il exerce un de ces petits métiers considéré avec curiosité et nostalgie.

Groupe de porcelaine figurant un monteur d'optique, d'après François Boucher, modèle de Falconet (coll. particulière)

Groupe de porcelaine figurant un monteur d'optique, d'après François Boucher, modèle de Falconet (coll. particulière)

Les séries gravées des cris de la ville et les dessins de Poisson ou de Bouchardon immortalisent le petit peuple de la rue : marchands, montreur de lanterne magique, de boîte d’optique, accompagnés du vielleux et du joueur d’orgue … «Dès que l’obscurité envahissait Paris (…) les montreurs de « curiosité » et de lanterne magique se promenaient, l’orgue de barbarie sur le ventre (…) mêlant un cri langoureux à la ritournelle provocante de leur instrument » (Victor Fournel, les rues du vieux Paris, Paris, 1881, p 544).

« La rareté, la curiosité, la Ville de Constantinople » !

Attirés par le boniment du forain ou la musique d’un assistant, les badauds s’approchent de la caisse en bois et risquent un oeil à travers l’ouverture. La fascination opère aussitôt. Magnifiées par la lentille grossissante, les gravures colorées et finement découpées scintillent de lumière et captivent le regard. Une parenthèse dans le quotidien misérable du spectateur qui paie sans rechigner quelques sous au montreur, et lui achète aussi parfois une gravure religieuse ou le colifichet proposé.

Le sifflet, 1872 (coll.particulière)

A l’origine de ces spectacles, le colporteur donnait à voir ses tableaux dans une caisse de bois, munie parfois d'une lentille de plus ou moins bonne facture, dont l’imperfection même participait à l'émerveillement optique. L’instrument est simple, la vision directe, sans miroir (système « dioptrique »).

La concurrence aidant, la machine évolua très vite : les vues furent montées sur châssis ou sur rouleau pour enrichir le programme, plusieurs lentilles permirent d'augmenter le nombre de spectateurs et donc la recette, et surtout l’ajout d’un éclairage à la bougie autorisa l'exploitation nocturne.

L'illumination des tableaux par l'arrière et la perforation des gravures ajouta de nouveaux effets merveilleux au spectacle : mystère de la transition du jour à la nuit, féerie des feux d'artifices et des fêtes royales, fascination pour les batailles et les incendies,... tous effets de mise en scène nés de l'imagination et de l'habileté du montreur, auxquels s'ajoutent parfois des figurines mobiles ou articulées.

Vue d'optique perforée pour effet lumineux jour et nuit (coll. part.)

Guyot, dans l'ouvrage déjà cité, est l’un des rares auteurs à livrer des informations sur la fabrication des vues transparentes. Dans la boite destinée à recevoir la vue « ménagez une porte qui doit s’ouvrir par derrière la boëte ; couvrez-la en dedans de fer blanc, et ajustez-y cinq à six petites bobeches garnies de bougies, dont les lumières se trouvent placées à différentes hauteur ». « On peut aussi peindre ces vues de manière qu’il n’y ait que les ciels, les vitrages, les croisées, les eaux, les jets-d’eaux et cascades qui soient éclairés par derrière. Pour cet effet on couvre de noir le derrière de l’estampe aux endroits où elle ne doit pas paroître transparente ; on exécute de cette manière des incendies, des arcs de triomphes, des soleils couchans, des clairs de lune, etc. qui font un très bel effet. »

L’étape suivante consiste à pousser l’effet d’illumination aussi loin que possible : « On découpera avec de très petits emportespièces, gradués de différentes grosseurs et de forme ovale, mais un peu en pointe d'un côté, tous les endroits de l'estampe où l'on jugera devoir faire paraître des lumières, ou ceux où elles sont désignées sur la gravure, si l'on se sert d'estampes représentant des illuminations (…). »

Tissus de couleurs collés au dos de la vue précédente

« Les estampes que l’on dispose de cette manière peuvent aussi se placer dans les boëtes d’optiques où les objets sont vus au travers d’un verre ; mais comme le verre étend et grossit l’objet, il faut alors les éclairer encore plus fortement. On conçoit que l’on doit dans ce cas supprimer le miroir (…) et que l’estampe doit être placée en face du verre, ce qui change nécessairement la forme des boëtes ordinaires. »

 

Autre siècle, autres images

Vue du château d'eau prise du boulevard Saint-Martin, vue d'optique 19e siècle montrant le diorama de Daguerre (coll. particulière)

Devenus de véritables cosmoramas ambulants, les boites d’optique furent exploitées en Europe jusqu’au milieu du 19e siècle avant d’être détrônées par des attractions visuelles plus en vogue sous l’effet conjugué du perfectionnement des techniques scéniques et de l’arrivée de la photographie : dioramas, polyoramas, aléthoscopes, stéréoscopes… Les vues d’optique rejoignirent les cartons à dessin des collectionneurs ou perdirent leur fraîcheur encadrées au mur des salons où l’on avait oublié leur vocation première…

Pourtant, alors que l’histoire de la boite d’optique s’est arrêtée en Europe, quelques boîtes de facture artisanale, à déroulant ou à images multiples, circulent encore tout au long du XXe siècle en Asie, en Afrique du Nord et même aux Etats-Unis.

"Lanterne magique à Cholon", carte postale 1906 (coll. particulière)

Leur spectacle organisé autour de récits est constitué d’images peintes, de photographies, voire de pages de journaux illustrés de paysages exotiques et de portraits d’acteurs en vogue. Si ces instruments tardifs ont aujourd’hui disparu ou ont rejoint collections et musées, quelques montreurs exercent encore leur art, principalement en Chine mais aussi en France, associant pour la plus grand plaisir de leurs spectateurs, tradition et modernité…

 

Lorraine Aressy

présidente de l'association Perforons la musique / Les Machines du Fantasmagore

(reproduction interdite des textes et images sans accord préalable)

 

Montreur d'optique foraine par Les Machines du Fantasmagore (France)

Montreur d'optique foraine par Les Machines du Fantasmagore (France)

Retrouver l'intégralité de cet article sur le site de la DRAC Occitanie

Lorraine Aressy, Bertrand Caron, Henri de Colbert, Morgane Didier, Hélène Palousié, Le monde en perspective : Vues et récréations d’optique au siècle des LumièresDRAC Languedoc-Roussillon, collection Duo, 2014 (ISBN 978-2-11-138379-1)

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